Harpes de bruine sur le lac
La contrée se réjouit. Depuis quelques nuitées, il pleut, enfin.
Ce soir, il bruine sur le lac noyé dans les brumes qui montent de la forêt. Une atmosphère propice aux songes éveillés, aux légendes réveillées.
Chaque pierre, ici, a son mot à dire.
Re gozh eo an douar evit ober goap anezhañ, La terre est trop vieille pour qu'on se moque d'elle.
Seuls, les imbéciles s'imaginent qu'ils sont les seuls à avoir une âme.
Ici habite un korril des bois. Mais comme je suis suivi depuis le début de ma balade par un mystérieux animal, moitié chien moitié loup, impossible de voir quoi que ce soit ou qui que ce soit. La bête blanche reste à mes côtés, sans bruit, me reniflant de temps à autre, en silence, puis fonce comme un fou sur un groupe de foulques macroules qui détale sur le lac en courant sur les eaux argentées.
Erosion ou manifestation d'un esprit des rivages lacustres ?
A l'origine, les bulletins météo étaient faits pour les marins et les agriculteurs. A présent, ils sont faits pour les citadins, les touristes, les dingos du bronze-cul idiot. Traduisons : la pluie, c'est le mauvais temps, la canicule et l'absence de précipitations, c'est le beau temps. Pour la terre, c'est exactement l'inverse, en y ajoutant de temps en temps une pincée de soleil. Moi, j'aime la pluie et le brouillard : plus de solitude, cet état de plénitude de plus en plus rare. Plus de tranquillité, moins de singes hurleurs à travers la campagne. Plus de silence, cette musique naturelle en voie d'exctinction.
L'automne, c'est aussi la saison des champignons. Si certains sont comestibles, tous ont leur raison d'être et il faut les laisser vivre leur vie.
Leur rôle est de digérer la matière organique et de permettre ainsi aux éléments nutritifs de retourner à la terre.
J'écoute la mélodie secrête de l'eau qui ruisselle sur les feuillages et joue de la harpe sur la surface du lac. La bête, moitié chien moitié loup, est toujours à mes côtés, et ne me lâchera les brodequins que lorsque j'aurai disparu derrière le premier virage, en quittant les lieux.
Une forme blanche, dans la nuit, traverse la petite route en laçets devant moi, puis s'estompe sur ma droite, derrière le talus. Ni chien, ni loup. Une forme humaine, translucide.